Gaëlle Tjat : « le Cabinet Civil de la Présidence n’a donné aucune suite à nos requêtes »
Journaliste et blogueuse camerounaise vivant aux Etats-Unis d’Amérique, elle fait partie du collectif qui a travaillé sur les voyages du président Paul Biya à l’étranger depuis 1982. Dans cet entretien, celle qui a fouillé dans les archives du Cameroun soigneusement conservées dans le pays de l’Oncle Sam revient sur les démarches et les ambitions de cette enquête.
Comment vous vient à l’idée de mener une enquête sur les voyages présidentiels ?
Les voyages du Président Biya sont la suite plus ou moins logique du travail de data journalisme sur « les gouvernements de Paul Biya » publié en 2016. À l’issue de leur publication, nous hésitions sur le sujet de la prochaine enquête car de nombreux sujets avaient surgi durant la collecte de données. C’est alors qu’Emmanuel Freudenthal a abordé notre équipe avec cette idée. Nous n’avons pas hésité longtemps pour joindre nos forces et produire ce qui semble créer des remous dans les hautes sphères.
Comment avez-vous effectué le recoupement ?
Le recoupement pour cette enquête a été très fastidieux. Pour les déplacements, nous nous sommes essentiellement reposés sur les éditions de Cameroon Tribune qui retracent fidèlement les allées et venues du Président depuis 1982. Malheureusement les archives digitales accessibles auparavant, du moins pour le travail sur les gouvernements de Paul Biya, ne l’étaient plus. Nous avons fait appel à des ressources externes et il nous a été remonté que la bibliothèque de Buéa renfermait des archives de Cameroon Tribune. Frank William Batchou y est allé à quatre reprises et a collecté tout ce qui était possible, précisément une partie de 1985 à 1990 et une autre de 1995 à 2006. La librairie Nationale française disposait des éditions de 1974 – 1996 et de 2002 – 2010. Un des amis d’Emmanuel, le nommé J.B, y a fait le déplacement pour la collecte. La libraire d’Harvard à Boston, enfin, avait les éditions de la période 2005 à 2016. J’y ai personnellement fait le déplacement.
Et en 2017, les communiqués du site de la Présidence de la République nous ont énormément aidés. Les « Une » collectés sont disponibles sur le site https://www.cameroundebiya.com/papers-1980s/. Une fois les données collectées, nous les avons croisées avec d’autres sources : GVA Alert, un bot Twitter enregistrant les allées et venues des personnalités via l’aéroport de Genève, a par exemple aidé à confirmer les déplacements du Président sur Genève. Afin d’évaluer les coûts, Emmanuel a eu accès à des documents privés via des journalistes locaux au pays. Nous avons bien évidemment essayé de joindre l’hôtel Intercontinental de Genève, CS Aviation et le Cabinet Civil de la Présidence pour confirmer ou infirmer nos données. Malheureusement, aucune instance n’a donné suite à nos requêtes. L’équipe d’OCCRP a pris près d’un mois pour passer au crible nos données. La suite, vous la connaissez.
Quel est l’objectif visé par votre collectif ?
Offrir de la connaissance, de la matière à analyse à ceux qui veulent aller au-delà des apparences, mais surtout de fournir des archives. Au fil du temps, nous nous rendons compte que la mémoire collective de notre pays s’évapore et il ne nous restera rien demain pour raconter notre histoire. L’objectif final est de créer une base de données fournie, crédible et accessible où étudiants, chercheurs, journalistes et curieux viendront puiser pour se faire leur propre analyse.
Propos recueillis par Didier Ndengue
→ Lire l’enquête de l’OCCRF www.cameroundebiya.com
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