L’invité surprise du « Club bili-bili »

Article : L’invité surprise du « Club bili-bili »
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25 janvier 2016

L’invité surprise du « Club bili-bili »

En prélude au deuxième tour de la présidentielle en RCA, le 31 janvier 2016, ma curiosité m’a poussé à boire ce « bon » vin fait à base de mil et de maïs, au côté de quelques frères centrafricains de la cité économique camerounaise.

A Douala, la communauté centrafricaine croise les doigts autour du bili-bili en attendant le verdict de l’élection présidentielle de 2015. Parmi les centrafricains de la capitale économique camerounaise, j’ai rencontré Samson Mbouayom à New-Bell, il y a quelques jours. Il avait le dos tourné au grand drain qui vient d’être aménagé non loin du commissariat de la mairie de Douala 2e. Assis sur un tabouret au bord de ce drain, le jeune homme consommait le « bili-bili », comme de l’eau, à l’aide d’une calebasse, accompagné de quelques frères centrafricains.

Ce vin fait à base de mil et de maïs, est très prisé par les centrafricains de ce coin de la cité économique du Cameroun. Samson m’explique que c’est autour de cette boisson qu’ils évacuent leurs peines et leurs misères. Mais depuis que la Centrafrique, leur pays natal, est allé aux élections présidentielles le 30 décembre passé, ils ont la conscience plus tranquille. Leur cœur est apaisé à l’idée de savoir qu’ils auront un nouveau chef d’Etat qui devra mettre fin à la crise dans laquelle leur pays est plongé depuis mars 2013. Ce jeudi 7 janvier 2016, plus d’une semaine après le premier tour du scrutin, les accros du « club bili-bili » ont hâte d’aller voter pour le compte du 2e tour. Franck M, le voisin de Samson Mbouayom, me dit qu’il a envie que les querelles qui ont viré au drame en RCA prennent fin. Je suis également du même avis que ce frère.
Buveur de bière

A cette allure, tout en avalant son vin, il croit que le deuxième tour est un tournant décisif. Tout le long du drain, j’aperçois, en plein air, plus d’une centaine de centrafricains qui se soulent aussi la gueule avec le « bili-bili » dans des hangars aménagés sur les lieux pour la circonstance.

Sur place également, de jeunes hommes braisent des instincts de poulet, qu’ils achètent en gros dans des poulaillers. Ils revendent une brochette de ces instincts à 100 FCFA. Cinq fois moins cher que le prix d’un seau de bili-bili de près de 5 litres qui coûte 500 FCFA. Les commerçantes de ce vin traditionnel sont régulièrement en train de préparer un nouveau bili-bili, parce qu’il se vend comme des petits pains. Au même moment, un nouveau mil sèche au soleil.
« C’est un business juteux. Le bili-bili est pour les gens qui n’ont pas assez de moyen pour s’acheter une bière de 500 FCFA dans un bar. Avec ce peu d’argent, tu bois avec tous tes amis ici », explique Franck M, un amoureux de cette boisson. Cependant, ce vin traditionnel ne procure pas que de la joie, il déforme aussi ceux qui en prennent à l’excès.
Franck M, réside à Kotto, au quartier Bonamoussadi, dans le 5e arrondissement de Douala. Vigile de son état chez un particulier à Bonapriso (2e arrondissement), il se rend au travail tous les jours à l’aide de son vélo. Au retour, il s’arrête ici pour partager un bol de bili-bili avec ses frères Centrafricains, avant de rentrer définitivement chez lui. « C’est très bon, j’aime beaucoup ce vin. Ça me met la joie au cœur », s’exclame-t-il, tout en ouvrant grandement sa bouche, laissant ainsi voir ses dents gâtées par cette boisson.
Les candidats « farotent » les électeurs
C’est quand même une curiosité. Tout autour de ces centrafricains, on n’aperçoit aucune affiche d’un candidat à l’élection présidentielle du 30 décembre 2015. En « sango », langue nationale centrafricaine, ou même en français, ce sujet n’alimente pas trop les conversations ici au milieu de ces gros buveurs. Et pourtant, presque tous ont voté le 30 décembre au consulat de la RCA à Douala. Toutefois, l’absence des affiches de campagne des candidats dans ces lieux s’explique. A en croire Samson, seuls ceux qui ont reçu des motivations de la part des représentants des candidats au Cameroun, ont affiché leurs portraits dans leurs quartiers, ou devant leurs domiciles.
D’aucuns ont même eu des tricots qui portaient les effigies de ces candidats. Dans la foulée, j’apprends que beaucoup de billets de banque ont circulé. Pour séduire les électeurs, certains candidats « ont versé 40 000 FCFA dans chaque quartier. Certaines personnes ont même eu 50 000 FCFA », selon mes informateurs. Mais pour l’amour de leur pays, et au nom de la paix, plusieurs jeunes du « club bili-bili», sont allés votés sans un rond.
« On sait qu’il y avait trente candidats. Peu importe celui qui va gagner. On veut seulement quelqu’un qui va bien arranger notre pays », se justifie Samson Mbouayom. Dans la communauté centrafricaine de Douala, j’ai aussi constaté que plusieurs personnes n’ont pas pu s’exprimer à travers les urnes à cause du manque de carte de vote. « J’ai encore ma carte au consulat. Je n’ai pas pu voter à cause de ça. Ils l’ont fouillé en vain », témoigne un centrafricain, déçu.
Comme lui, plusieurs personnes, pourtant inscrites sur les listes électorales, n’ont pas voté le 30 décembre dernier, alors qu’ « ils étaient très contents d’aller voter. Malheureusement, ils n’ont pas eu de carte. Mais il y a ceux de Bonamoussadi qui ont voté avec leurs récépissés », regrette-on dans cette banlieue de Douala.
Ces dérapages, selon le vœu le plus cher de mes compagnons du « Club bili-bili », ne doivent plus se reproduire au deuxième tour qui aura lieu dans quelques jours. Autre chose que j’allais oublier de mentionner dans ce billet : « j’ai bu, pour la toute première fois de ma vie, deux bols de bili-bili. J’avoue qu’il était délicieux, mais je ne suis pas près à en reprendre ».

Didier Ndengue

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