Le jour où j’ai frôlé une « injustice populaire » à Douala   

Article : Le jour où j’ai frôlé une « injustice populaire » à Douala   
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6 janvier 2017

Le jour où j’ai frôlé une « injustice populaire » à Douala   

Il suffit qu’une minuscule voix, comme celle d’un petit démon,une voix qui sort de nulle part, « oh voleur », pour qu’on se saisisse de vous et qu’on vous tabasse comme un chien. J’ai vu des innocents êtres tués à coup de bâton et brûlés vifs sous le regard impuissant des forces de maintien de l’ordre.

Je n’oublierai jamais cette année où j’ai failli être lynché comme un vulgaire chien, à Douala, dans une banlieue pourrie gâtée de New-Bell, où des maisons sont construites soit en terre battue, soit en planches. Ce soir-là, j’accompagnais Yannick, un ami d’enfance chez sa mère. Il devait être 19 heures quand nous sommes arrivés sur les lieux. Mon pote m’a demandé de l’attendre juste à l’entrée du couloir qui mène au domicile de sa génitrice. Je suis resté debout comme un bambou dans ce secteur que je découvrais pour la première fois. Il était éclairé par endroit par des lampadaires, ce qui m’a permis de constater que la plupart des maisons de ce coin étaient, soit en terre battue comme à l’âge de la pierre taillée, soit en planches, recouvertes de vieilles tôles. Une bonne pluie diluvienne noierait ces machins qui font office de maison en quelques minutes seulement. Avant qu’une femme d’un certain âge, sûrement une veuve, appuyée sur une canne, ne vienne me prouver le contraire, j’ai cru un instant que ces constructions étaient des poulaillers. Sauf que dans les poulaillers, ça picote. Les poussins jouent à toute heure, les coqs et les poules font constamment le « Ndolo », l’amour pour les non-Duala.

« Les pompiers volent au secours d’une victime »

La vieille femme aux cheveux gris s’avance vers moi et me pose une série de questions bizarres: « Mon fils tu fais quoi là débout? Pourquoi tu fixes ma maison ? C’est pour mieux l’identifier pour venir braquer après n’est ce pas ?». Je suis resté bouche bée pendant une dizaine de secondes. Je ne comprenais pas le sens de ses questions. J’ai titubé quelque moment avant de retrouver mon état normal. « Non mémé, je suis en train d’attendre un ami qui est allé voir sa maman dans le couloir qui est juste en face là ».

Avant l’apparition de cet étrange personnage, le quartier était calme, doux, aucune mouche n’osait pointer son nez, à part quelques moustiques qui me suçaient de temps en temps. En l’espace de quelques minutes, j’ai connu le vrai visage de ce secteur qui affichait un climat pourtant paisible à mon arrivée. La vieille femme m’a atomisé de questions, ce qui a attiré l’attention des autres populations de ce coin. Les gens venaient un par un vers moi comme des zombies. Ils étaient armés de gourdins et de cailloux. J’ai entendu une voix qui sortait du milieu de la foule : « Si ton ami là ne revient pas, on va te taper et te brûler ici, tu vas voir ». Ils avaient déjà entassé les pneus les uns sur les autres et s’apprêtaient à me brûler vif avec l’essence qu’ils avaient acheté. Tout simplement parce que j’étais un étranger dans le quartier et que je contemplais leurs « jolis palais », remplis d’or et d’argent que je m’apprêtais à cabrioler, selon la vieille femme. J’étais dans un vrai cauchemar les yeux ouverts. Yannick tardait à revenir, à tel point que j’ai eu l’impression qu’il m’avait oublié. Alors, j’ai commencé à transpirer et à trembler sur place.

« Ils brûlent un individu »

Mon courage m’avait quitté. En plus, qu’est ce que je pouvais bien faire pour m’échapper des griffes de ces personnes qui étaient prêtes à en découdre avec moi, sans preuve, sans pour autant contacter la police, dont le rôle est de protéger les populations comme dans les pays civilisés ? Je préférais encore être dans les mains de la police camerounaise que de ces cons furieux sans raison valable. J’ai évoqué le Seigneur et il m’a exaucé en faisant apparaître Yannick, qui m’a délivré des canines de ses « cannibales ». Ouf ! Je l’ai échappé belle. Après ce coup foiré de la vieille femme des courbettes à la #BidoungKpwattChallenge, j’ai décidé de ne plus jamais remettre les pieds dans ce genre de quartier, où l’étranger est considéré comme un brigand.

Le phénomène prend des proportions considérables

Le gouvernement camerounais doit absolument adopter des mesures visant à renforcer la sécurité dans nos métropoles. Il doit surtout veiller à la sécurité de ces personnes qui se font tabasser dans les rues par les populations qui les traitent de bandits, comme s’ils pouvaient arrêter un vrai bandit armé d’un pistolet automatique chargé ou ces bandits aux cols blancs qui détournent les deniers publics et les appauvrissent.

« C’est très méchant »

J’ai vu des corps calcinés de personnes, parfois innocentes, dans les caniveaux d’Akwa (centre commercial de Douala). Toujours dans mes balades, je suis tombé sur des corps de jeunes gens qu’on avait tués la veille et abandonnés sur les trottoirs. J’ai plusieurs fois aperçu des corps des gens comme toi et moi en décomposition dans les drains de la cité. Des images très choquantes qui réjouissent curieusement les cœurs de certains passants. « Ce sont des bandits, ils méritaient la mort », selon eux. Moi aussi je méritais sûrement la mort le jour où je suis allé accompagner Yannick dans ce bidonville ! Tout comme ces jeunes hommes qui se font régulièrement tuer par les populations à l’aide de lattes, de parpaings, de barres de fer, de tournevis, pour avoir volé un œuf ou parce qu’ils avaient fouillé dans la poubelle d’à côté… Je me demande comment leurs assassins font pour continuer à vivre comme s’ils n’avaient jamais commis de crimes. Pourquoi ne les poursuit-on pas en justice, eux qui ont tué des personnes qu’on a tout simplement traitées de voleurs sans preuves tangibles ?

Il faut châtier un bandit, mais pas le tuer. Pour ces assassins qui se font passer pour des justiciers, je propose qu’on adopte une loi anti-justice populaire au Cameroun. Tout comme je crois que l’injustice populaire se trompe de cible. Les vrais bandits sont ailleurs. Qui l’ignore ?

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Commentaires

Emmanuel Yimga
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J'habite New-bell et je parie qu'on ne trouve nulle part, des maisons en terre battue. Tout le reste est vrai, mettez vous à la place de cette vieille femme dont toute sa richesse est dans ce que vous appelez "palais". Sachez que pour celui qui n'a pas, un peu c'est beaucoup.

SOM I Joseph
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Excellent témoignage. Il faut en finir avec ses meurtres de rue.