Je reviens d’une décharge d’excréments humains

Article : Je reviens d’une décharge d’excréments humains
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9 août 2017

Je reviens d’une décharge d’excréments humains

Tranche de vie au Bois des singes, un nouveau quartier hautement risqué de la capitale économique camerounaise.
Ce vendredi 5 août 2017, je suis dans les parages. J’aperçois dans la maisonnette construite en matériaux provisoires, située à l’entrée principale du nouveau secteur, juste au bord du tunnel, trois adultes qui devisent. Leurs conversations tournent autour de leurs activités quotidiennes. Soudain, un camion transportant les excréments de la société Bocom Sarl, s’arrête et klaxonne à plusieurs reprises, sans toutefois ébranler les trois types de la maisonnette.
Mais le conducteur ne descendra pas de son engin. L’un des occupants de la case sort quelques secondes plus tard. A partir de sa cabine, le chauffeur de la société de vidange d’excréments lui balance une pièce d’argent, avant de poursuivre son chemin. En moins de trente minutes, j’ai vu une dizaine de véhicules de vidange passer par ici, sans déroger à la tradition imposée par les agents de la Communauté urbaine de Douala (CUD). En fait, personne ne déroge à cette règle.

 

Carrière du Bois des singes de Douala. CC DN

Zone interdite

Quand je traverse le pont qui relie la localité de Bonapriso aux Bois des singes à Youpwe, dans le deuxième arrondissement de Douala, j’aperçois des conducteurs de mototaxis, garés au bord du tunnel. Ils attendent les passagers qui se rendent au lieu-dit « Fin goudron Bois des singes ».
A leur gauche, un grillage sécurise le site de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA).
La société possède un gigantesque domaine, où il est strictement interdit d’habiter et de circuler. Pour sécuriser sa propriété, les responsables de cette entreprise ont augmenté la taille et la quantité de grillages qui séparent leurs terres des populations du Bois des singes.
Je décide de descendre un peu plus bas, vers l’une des plus vieilles carrières du coin. Ici les creuseurs de sable sont en activité. Tous sont à l’œuvre. Chacun dans son domaine. Ils comptent boucler le boulot avant la fin de la journée.
Il y a des chercheurs de sable à l’aide d’une pirogue, ceux qui le tamisent, pendant que d’autres jeunes, torses nus, chargent les camions de sable. Dans les hangars construits en feuilles de paille sur les lieux, un autre groupe de personnes fabrique les parpaings.
C’est ici sur place que les occupants du Bois des singes se sont ravitaillés en parpaings pour bâtir les maisons qu’ils habitent actuellement. De nombreuses autres maisons sont en train d’y être construites.
Après deux minutes de marche, j’arrive enfin au cœur du Bois des singes. En 2010, je me souviens que la plus grande partie de ces terres servait de champs aux autochtones de Bonapriso. Ils y cultivaient des patates douces, manioc, plantains, maïs, fruits et légumes. Il y avait également un grand terrain de football et de rugby, où je venais souvent jouer avec les jeunes de Bonapriso. On s’amusait tellement ici. On ne voyait pas le temps passé.
En plus du vieux cimetière, le Bois des singes est également le lieu où les entreprises de vidange de la ville de Douala, viennent déverser les excréments, qu’elles ramassent partout dans les fosses septiques de Douala.

En route pour le cimetière. CC DN

Aujourd’hui, les stades de mon enfance et les champs agricoles ont complètement disparu. Le cimetière, jadis dans les herbes, a reçu un coup de pinceau. La fosse de vidange, quant à elle, est toujours exploitée par des dizaines de camions tous les jours.
Mais ce qui attire ma curiosité ici, c’est la qualité des maisons qui poussent tous les jours sur les lieux. Elles sortent des terres comme des champignons. Le Bois des singes, abandonné à lui-même à l’époque, est désormais le paradis de plusieurs millionnaires de la capitale économique camerounaise.

Tranche de vie

Sur la grande route qui conduit à la décharge de la capitale économique, des femmes, et des enfants ont installés des caisses et tables, où sont exposés des petits commerces. On y vend notamment des arachides, oranges, goyaves, mangues, etc. Au carrefour, où le goudron s’arrête, en allant vers la fosse d’excréments, les tout-petits jouent aux billes, en face d’une mosquée. Non loin, j’aperçois un styliste qui raccommode un tissu pagne. Sa voisine « callboxeuse », avec sa sacoche enroulée autour du cou, pèle les oranges qu’elle expose au fur et à mesure sur un plateau posé sur ses genoux.
Des boutiques, des centres de santé, des pressings, des églises et mosquées abondent ici, à coté des milliers de maisons qui ne cessent de sortir des terres. Des minis châteaux et gratte-ciels, fraîchement construits, subissent les dernières retouches. Au même instant, des centaines de parpaings sont en train d’être apprêtés. Ils permettront de construire de nouvelles maisons.
En descendant progressivement dans le quartier, des plaques indiquent qu’il y a des studios et chambres modernes, bien bâtis, à louer dans le coin. Appelé affectueusement « New-Priso », le Bois des singes ne cesse de s’agrandir et d’accueillir de nouvelles personnes.

Un parent et son fils dans une fosse de vidange. CC Wikimedia

L’autorité menace

Le Bois des singes à Youpwé, est devenu un grand quartier, qui accueille environ douze mille âmes. Plusieurs familles y cohabitent aisément. Mais depuis quelque temps, leur sommeil a pris un coup. Leur tranquillité est perturbée par les pouvoirs publics, qui demandent à chacun de brandir son titre foncier. Hors la majorité n’en possède pas. Dr Bidja Didier, sous-préfet de l’arrondissement de Douala 2ème, était ici le mois dernier, pour toucher du doigt les réalités d’un quartier très convoité.

Ma marche me conduit au Bloc B, où je suis chaleureusement accueilli par Nanga Salomon, le représentant du chef du quartier. Ce dernier m’apprend que la visite de travail du sous-préfet était une bonne chose, même s’il reconnait que les habitants de son quartier n’ont pas de titres fonciers.
« A cause du manque de logement, plusieurs familles se sont installées ici sans titre foncier. Les Duala ont donné des terrains à vil prix. Même le Roi René Duala a donné des portions de terre à certaines personnes d’ici, gratuitement », apprend l’un des premiers occupants du Bois des singes.

Pendant que les habitants entament les démarches pour obtenir les documents administratifs exigés par le sous-préfet, le quartier baigne dans une insécurité galopante. Les malfrats y sévissent depuis un certain temps. « Ils font du trafic et atterrissent ici dans l’eau avec des produits dangereux comme le chanvre indien, la cocaïne et sont souvent armés ».

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