Après l’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo à Paris : Le cri de cœur des dessinateurs de presse camerounais

Article : Après l’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo à Paris : Le cri de cœur des dessinateurs de presse camerounais
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16 janvier 2015

Après l’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo à Paris : Le cri de cœur des dessinateurs de presse camerounais

Ils présentent les menaces de mort qui pèsent sur eux au quotidien.

Dans la salle de rédaction du tri-hebdomadaire Aurore Plus ce vendredi 09 janvier 2015. Hercule César Fojepa, le caricaturiste de service est assis sur le fauteuil de son bureau, les yeux rivés sur Euroneuws. La chaîne de télévision européenne diffuse des reportages en boucle sur l’attentat souvenu mercredi 07 janvier contre l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo à Paris. Au pied d’Euroneuws, on lit : « Je suis Charlie ».

De toutes les thèses proposées relatives au massacre de 12 personnes lors de cette attaque, Hercule César Fojepa a sa petite idée sur les vraies raisons de cet acharnement contre les journalistes français. En effet, le dessinateur d’Aurore Plusy voit un règlement de compte bien muri. « Les raisons de cette attaques ne sont pas encore invoquées par les tueurs. Celles invoquées par rapport à Mahomet ne sont pas les véritables. On sait très bien que les arabes sont très rancuniers. Je vois la chose d’une autre façon, quand on sait que c’est la France qui a commencé à soutenir l’armée syrienne libre. C’est encore elle qui est entrée à la télévision syrienne pour tuer des journalistes sans que ça ne gène personne. Les tueurs ont fait d’une pierre deux coups. Ils ont vengé Mahomet et les journalistes tués en Syrie », pense Hercule César Fojépa qui a une pensée pieuse pour les journalistes des différents bords « qui ne faisaient que leur travail ». Le caricaturiste camerounais est aussi d’avis que les journalistes ne devraient pas être mêlés aux règlements de compte politiques ou religieux.

Le Popoli pleure ses quatre complices tués

Les relations professionnelles entre les jeunes journalistes du premier quotidien satirique camerounais et l’hebdomadaire français étaient étroites au point où les deux rédactions, malgré la distance qui les séparent, avaient beaucoup d’admiration l’une envers l’autre. Elles échangeaient chaque fois que l’occasion se présentait.

Mais la triste réalité de l’attentat de mercredi laisse Paul Nyemb Ntoogue alias El Pacho orphelin de quatre de ses meilleurs complices de Charlie Hebdo. Le directeur exécutif du seul satirique camerounais a perdu Stéphane Charbonnier, alias Charb, directeur de la rédaction et dessinateur, Jean Cabut, alias Cabu, Georges Wolinski et Bernard Verlhac, alias Tignous. « Le Directeur de publication Nyemb Popoli lui-même a mainte fois discuté avec eux. On trouvait qu’ils étaient trop courageux. Personnellement, dans le cadre du dessin sur Mahomet, je trouve que c’était trop osé dans un contexte où on est de moins en moins tolérant », argumente El Pacho. Avant de sortir des armes sur des dessinateurs, le dessinateur de presse camerounais suggère dorénavant de bien chercher à comprendre les messages des caricatures. Car leur but n’est pas la destruction du monde, « mais pour que la société s’améliore », renchérit-il.

Au niveau du journal Popoli, on a pris beaucoup de recul après d’abondantes menaces de mort des hautes personnalités de la république et des particuliers sur le genre de caricatures à publier. Le journal se refuse par exemple de produire des dessins sur le tribalisme. « Nous sommes dans un contexte très différent. Il y a beaucoup de tolérance en matière de religion au Cameroun. Ceux qui ont constamment menacés Le Popoli, sont des hommes politiques. Le chantage est récurrent, nous sommes déjà habitués. Mais nous jetons toujours un coup d’œil sur nos caricatures avant publication », indique-t-on au journal Le Popoli.

Des hommes à abattre ?  

Le premier dessinateur camerounais à avoir payé le lourd tribut de ses œuvres sur Paul Biya est Kiti. Il avait caricaturé le président de la République dans une Jeeb militaire. Cela lui a coûté, d’après nos sources, une bastonnade et la prison. En 1990, alors qu’il dessine pour le compte de Football Elite, Hercule César Fojepa reçoit des intimidations d’un général de l’armée camerounaise. « J’avais caricaturé le général en train de corrompe avec l’argent volé », se souvient-il. Et d’ajouter : « nous avons reçu un camion de policiers venus m’arrêter. C’est grâce aux négociations avec certains corps de l’armée que j’ai eu la vie sauve.» Un an plus tard, (1991) Hercule César est agressé dans un hôtel de la ville de Douala par des particuliers mécontents de ses productions. « On a échangé des coups de poing et c’est grâce à ma force que j’ai pu échapper à ces gens-là».

Au satirique Le Popoli, les dossiers de justice sont entassés comme des bouquins dans une bibliothèque. Il revient donc aux juridictions compétentes de trancher. De son côté, Nyemb Popoli, le directeur de publication et ses collaborateurs ont rarement invoqué en public les menaces dont ils font objet dans le cadre de leurs activités professionnelles. L’attaque contre Charlie Hebdo vient comme réveiller les vieux souvenirs qui tendaient déjà à disparaitre de la mémoire d’El Pacho. Il se souvient de cet homme d’affaires originaire du Nord Cameroun qui « avait menacé d’égorger le Dp », il y a plus d’une décennie, pour l’avoir dessiné dans Le Popoli.

Seulement pour le compte de l’année 2014, cinq à six ordinateurs portables ont été emportés de la voiture du Dp. Des braquages et appels téléphoniques menaçants sont légions au satirique. Dans la nuit du 7 au 8 décembre 2013, les malfrats pénètrent le domicile d’El Pacho. Ils y pulvérisent un produit dormitif pour empêcher à quelque membre de sa famille de se réveiller pendant la mise à sac. « Je les voyais dans mon lourd sommeil, je ne pouvais malheureusement rien faire », regrette le journaliste qui, impuissant sur lit, a vu son ordinateurs personnel, ses portables et tous ses clés UBS emportés par les gangsters. « Ils sont entrés par la fenêtre de la cuisine. Ils n’ont pris ni la télévision, ni les tissus de luxe de mon épouse. Ils n’ont touché à personne », ajoute-il. En 1998, Nyemb Popoli est contraint de fuir son pays natal pour l’Afrique du Sud. Mais il rentrera quelques mois plus tard pour poursuivre l’œuvre qu’il a commencée. « On a singulièrement senti la mort, mais j’ai toujours joué le faux courageux », avoue El Pacho, inconsolable suite à l’assassinat de ses confrères de Charlie Hebdo.

Le Popoli comme Charlie Hebdo?
Le Popoli comme Charlie Hebdo?

Didier Ndengue

 

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